lundi 8 avril 2013

La mission jésuite des Guaranís de San Ignacio Miní


La mission jésuite guaraní de San Ignacio Miní

  
Ruines de l'église de la mission de San Ignacio Mini
Outre les célèbres chutes d’Iguazú, la province de Misiones recèle d’autres sites touristiques qui valent le détour, au premier rang desquels les missions jésuites des Guaranís.  Nous avons pour notre part visité la mission de San Ignacio Miní, qui est la mieux conservée parmi les missions jésuites argentines.


Les missions jésuites des Guaranís : késaco ?

Les missions jésuites des Guaranís sont des villages d'indiens Guaranís créés, administrés et contrôlés par les Jésuites aux XVIIe et XVIIIe siècles, sur un territoire couvrant le cours moyen et supérieur des fleuves Paraná et Paraguay, aujourd’hui partagé entre l’Argentine, le Brésil et le Paraguay.

Ces missions, appelées "reduccionnes" en espagnol (pour "regroupements") furent créées dans le contexte spécifique des débuts de la colonisation de l'Amérique du Sud. 
Depuis le début du XVIe siècle, le système de l'encomienda octroyait en effet aux conquistadores le droit de propriété des terres et des populations qui y vivaient. Les Indiens étaient donc systématiquement réduits en esclavage pour l'exploitation des champs et des mines. Dans ce contexte, plusieurs révoltes indiennes importantes eurent lieu au Paraguay en 1580, rendant le pays ingouvernable. A ceci s'ajouta une remise en cause du système de l'encomienda par la cour d'Espagne qui estimait qu'une part trop belle était faite aux colons, et par l'Eglise qui s'opposait de plus en plus au système du servage. En 1606, les ordonnances du roi d'Espagne demandèrent aux gouverneurs de ne plus recourir à la force pour assujettir les Indiens, mais de gagner leur confiance par l'enseignement des religieux envoyés sur place.

En 1609, le supérieur général de la Compagnie de Jésus, Acquaviva, obtint en outre du roi Philippe III l’autorisation pour les jésuites d’Amérique de fonder un Etat autonome dans la région du cours moyen et supérieur des fleuves Paraná et Paraguay, territoire alors peuplé par les tribus indiennes guaraníes.  Ils créèrent ainsi la province jésuite de Misiones, fondée sur la création de missions à l’organisation sociale spécifique.
30 missions furent ainsi créées entre 1609 et 1818 : 15 en Argentine, 7 au Brésil et 8 au Paraguay.
Aujourd'hui, 7 missions sont classées au Patrimoine mondial de l'Unesco, dont 4 en Argentine.

Carte des missions jésuites des Guaranis

Pour se faire accepter par les Indiens guaranis et leur imposer leur mode de fonctionnement, les jésuites apprirent la langue des Guaranís, firent usage d'une part de leur savoir médical et des objets modernes, et d'autre part  d'une convergence entre le message évangélique du Christ et les croyances guaraníes. Mais c'est surtout la protection qu'ils offraient contre les colons, en particulier les mercenaires envoyés par le Portugal pour étendre les frontières du Brésil sur les territoires espagnols, qui garantit leur succès. Afin d'échapper aux colons, les Guaranís n'avaient en réalité guère d'autre choix que d'accepter l'ordre social des jésuites. Ils passèrent ainsi notamment de nomades à sédentaires, de polygames à monogames, abandonnèrent la nudité, modifièrent leurs coutumes funéraires et adoptèrent des maisons privées et non plus communes.

Si les Jésuites conservèrent les rênes de la gestion des missions, ils désignèrent cependant dans chacune d'entre elles le plus haut dignitaire indien comme "regidor", et toutes les autres charges de la mission furent confiées à des indiens élus par tous les hommes de la mission. D'une manière générale, le fonctionnement et les lois en vigueur dans les missions étaient révolutionnaires pour l'époque :
- tous les besoins sociaux étaient couverts;
- la propriété était collective (tout se partage, s'échange et s'autogère);
- tous les habitants participaient au travail agricole et les denrées étaient équitablement réparties;
- la peine de mort fut abolie;
- la journée de travail n'était que de 6h environ, contre 12 à 14h en Europe;
- le temps libre était consacré à la prière, la musique, la danse et le tir à l'arc;
- la société était entièrement alphabétisée.

Ce mode d'organisation prospéra grâce à la vente du bétail, du coton, du sucre, de la yerba maté (plante utilisée pour l'infusion du maté), et des produits artisanaux.

Après une solide éducation religieuse, les jeunes hommes apprenaient le maniement des armes à partir de 12 ans afin de contribuer à la défense des missions contre les colons. Entre 1632 et 1635, les attaques des colons furent incessantes et firent des ravages : jusqu'à 300 000 victimes et 100 000 captifs, provoquant le départ de plusieurs missions brésiliennes vers le Paraguay et l'Argentine plus au sud.

Mais cet Etat dans l'Etat fut mal vu par les Bourbons, qui succédèrent aux Habsbourg à la couronne d'Espagne, et le Traité des Limites signé en 1750 entre l'Espagne et le Portugal marqua la fin de ce système. Une partie importante du territoire des missions fut cédé de l'Espagne au Portugal, dont le marquis de Pombal, Premier ministre, était un ennemi des jésuites. Il ordonna l'évacuation de 7 missions et leur 30 000 habitants. Les Guaranís se rebellèrent, s'allièrent avec les tribus indiennes non converties et une guérilla dura plusieurs mois pour finir dans un bain de sang. A partir de là les Indiens chrétiens furent sans cesse pourchassés. Certains retournèrent vivre en forêt tandis que d'autres furent déportés. En 1801, il ne restait plus qu'un tiers des Guaranís sur le territoire. Dans le même temps, l'expulsion des jésuites du Portugal (1759), d'Espagne (1767) et du Paraguay (1768), ainsi que la dissolution de leur ordre par le Pape en 1773, marquèrent le coup de grâce aux missions jésuites des Guaranís. Au lendemain de l'Indépendance des colonies en 1817, les affrontements entre le Brésil, le Paraguay et l'Argentine pour définir leurs frontières dans ce secteur achevèrent de détruire les dernières missions.

 La mission de San Ignacio Miní

Avec les missions jésuites de Nuestra Señora De Loreto, Santa Ana et Santa Maria La Mayor, San Ignacio Miní est l'une des 4 missions jésuites argentines classées au Patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1984.

Originellement fondée en 1610 au Brésil par les prêtres Jose Cataldino et Simón Masceta, la mission fut déménagée à son emplacement actuel en Argentine en 1632 pour échapper aux attaques des colons.
Comme les autres missions jésuites, San Ignacio Miní fut détruite lors des affrontements de 1817.
Ses ruines furent restaurées en 1940 et figurent aujourd'hui parmi les mieux conservées.
La grandeur du site n'est pas sans rappeler les ruines des termes de Caracalla à Rome ou encore, mais dans une moindre mesure, de l'ancienne ville d'Ostie.

Maquette reconstituant la mission jésuite de San Ignacio Mini
 San Ignacio Miní recensa jusqu'à 4 500 habitants. Comme toutes les missions, San Ignacio Miní fut conçue selon un plan en damier : les bâtiments principaux (église, école, cimetière, hôpital) étaient disposés autour d'une grande place, bordée des trois autres côtés par des maisons et ateliers. Les maisons des pères jésuites étaient situées au centre, afin de surveiller facilement toute la communauté. San Ignacio Miní comptait également une prison, ainsi qu'un bâtiment réservé aux veuves qui ne pouvaient plus subvenir à leurs besoins.



La place centrale de la mission de San Ignacio Mini
Intérieur de l'église de la mission de San Ignacio Mini
Intérieur de l'église de la mission de San Ignacio Mini
Ruines d'une maison de San Ignacio Mini


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